Biographie de Tod Browning :Charles Albert (dit Tod) Browning naît le 12 juillet 1882 à Louisville dans le Kentucky. Agé de 16 ans, suivant peut-être une jeune danseuse, il fugue de chez ses parents pour travailler dans le monde du cirque qu’il ne quittera qu’à 30 ans . Il travaille comme écuyer, contorsionniste, bonimenteur dans un spectacle intitulé "
L’Homme sauvage de Bornéo " ou clown (il met en place un numéro intitulé Mutt and Jeff) et connaît un succès international au côté de Roy Jones en tant que "
The Lizard and the Coon "(" Le Lézard et le Raton-Laveur ").
Il intègre ensuite une troupe de théâtre dénommée " World of Mirth "(" Le Monde de la joie ") ; c’est ainsi qu’il se met à côtoyer le monde des comédiens et qu’il rencontre puis épouse le 9 juin 1911 l’actrice Alice Lillian Houghton. En 1912, ils s’installent à New York où Tod est engagé par les studio de la Biograph. En 1913, obtient un rôle à Brooklyn dans
The Whirl of mirth. Il multiplie les petits cachets au théâtre et au cinéma comme comédien ou assistant avant d’être remarqué par Griffith. Celui-ci, après lui avoir confié le rôle d'un entrepreneur des pompes funèbres dans
Scenting a terrible crime pour la Biograph, lui propose de le suivre à Hollywood où il vient de signer un contrat comme producteur avec la "Reliance and Majestic Movie". En 1914, Browning emménage donc à Los Angeles et est engagé comme acteur par la "Reliance Majestic" notamment pour
An Exciting courtship et
The Whild girl. En novembre 1914, il tourne sous la direction de Griffith dans
The Mother and the law (La Mère et la loi) qui ne sortira qu’en 1919, mais dont une grande partie sera intégrée dans l’histoire moderne d’Intolerance ; il apparaît donc dans ces deux films au volant de la voiture qui permet au jeune homme de rattraper le train du gouverneur. Dans les années 1915-1916, il commence à réaliser des cours métrages dont certain sont remarqué, tel
The Fatal glass of beer dont Clyde Bruckman fera un remake parlant en 1933.
En 1915, ayant trop bu comme cela lui arrive souvent, il est à l’origine d’un accident sur une route de la côte Pacifique ; son passager l’acteur William Elmer Booth y trouve la mort. Tod est gravement blessé, il entre dans une longue convalescence durant laquelle va débuter sa carrière de scénariste. C’est à ce moment qu’il écrit entre autres
The Mystery of the leaping fish (L’Enigme du poisson volant) qui sera tournée un an plus tard par Emerson et interprété par Douglas Fairbanks, ainsi qu’
Atta boy’s last race qui sera lui aussi tourné en 1916, par Siegmann et interprété par Dorothy Gish pour les " Fines Arts Studio ".
En 1916, D.W. Griffith le prend ainsi que Van Dyke et Stroheim comme assistant sur le tournage d’
Intolerance ; Browning sera chargé de la partie moderne du film. L’année suivante il coréalisera avec Wilfred Lucas son premier long métrage,
Jim Bludso adapté d’un roman à succès de l’époque. Ici encore, c’est Griffith par l’intermédiaire de sa société de production " Fine Arts Triangle " (Griffith, Sennett et Ince) qui donne une nouvelle impulsion à la carrière de Browning. A ses débuts, Tod met principalement en scène des comédies sentimentales comme
A love sublime, Hands up !, Peggy, the will o’the wisp, ou
Which woman.
En 1919,pour tourner
The Wicked darling (Fleur sans tache) il engage Priscillia Dean et Alonso dit " Lon " Chaney c’est le début d’une collaboration de quatre ans avec l’actrice et, avec l’acteur, d’une longue amitié qui sera ponctuée de dix films entre 1919 et 1929. Mais c’est avec
The Virgin of Stamboul, en 1920, qu’il connaît son premier grand succès ; succès qui sera dès l’année suivante supplanté par celui d’
Outside the law, l’un des tout premiers films de gangsters dont l’accueil du public le pousse à en faire une version sonore en 1930.
En 1922 hélas, tout bascule, sa femme le quitte, il sombre dans l'alcoolisme et l'Universal rompt son contrat. En 1923, il tente de remonter la pente en mettant à nouveau en scène un film de gangsters
White Tiger, avec l'éternel Priscillia Dean comme tête d’affiche, mais le résultat est moins heureux que pour ses précédents longs métrages.
1925 marque un nouveau tournant dans la carrière de Tod, par l'intermédiaire de sa femme qui lui présente Irving Thalberg, il rentre à la M.G.M. avec un salaire de 6.500 $ et y tourne
The Unholy three (Le Club des trois) avec Lon Chaney, Harry Earles et Victor Mac Laglen. Ce Club des trois est un petit groupe de cambrioleurs dans lequel Chaney est ventriloque et se travesti en vielle dame. Quant à l’ami de Tod, le nain Kurt Schneider alias Harry Earles, il se déguise en bébé afin de mieux repérer les lieux de leurs futurs méfaits. Le film, dont Browning s’était vu refuser la production pendant plusieurs années, rencontre un immense succès auprès du public ; le réalisateur, supporté par le jeune producteur Irving Thalberg, va donc pouvoir laisser libre cour à sa fantaisie.
La M.G.M. lui laisse de grandes marges de manœuvre, lui octroie des budgets et un salaire conséquent (45.000 $ pour West of Zanzibar) ; en découleront durant les années suivantes certains des meilleurs films de sa carrière, grâce notamment aux performances d’acteur de Lon Chaney, ainsi
The Black-bird et
The Road to Mandalay en 1926,
The Unknown et
London after midnight en 1927,
West of Zanzibar en 1928 marqueront l’âge d’or de la combinaison Browning - Chaney dans laquelle les idées les plus surprenantes du réalisateur trouveront un écho positif dans la volonté de l’acteur de s’investir toujours plus physiquement dans les rôles.
Pour tourner la version parlante de
Outside the law en 1930 et
Dracula en 1931, celui que l’on surnomme déjà " l’Edgar Poe du cinéma " quitte la M.G.M. pour l’Universal. Avant que Lon Chaney ne tombe gravement malade, rendu muet par un cancer du larynx et ne meure le 26 août 1930, c’est lui que Browning prévoyait dans les rôles principaux de ces deux films. Pour l’adaptation du roman de Bram Stoker, Tod va donc se tourner vers Bela Lugosi, qui a déjà tourné dans son premier film parlant :
The Thirteenth chair en 1929 et qui interprète le comte Dracula au théâtre. Bela s’intègre rapidement à l’univers fantastique de Browning, il va même s’identifier à l’extrême à son personnage, d’abord par envie de se faire de la publicité puis de plus en plus par folie, au point, selon la légende de dormir dans un cercueil jusqu’à la fin de ses jours. Lugosi, resté théâtral dans son jeu, n’était certes pas le plus grand des acteurs au cinéma, et son travail avec Browning n’atteindra en rien le niveau de celui de Chaney mais son physique et son accent hongrois ont donné corps au personnage de Dracula. Aussi Tod Browning fait naturellement appel à lui quatre ans plus tard pour tourner un film à la fois policier et vampirique intitulé
Mark of the vampire (La Marque du vampire) dans lequel il démonte la mécanique du fantastique en nous apprenant que ceux que l’on prenait pour des vampires n’étaient en fait que des acteurs payés par la police pour démasquer un meurtrier ; trame que le réalisateur tire de son roman "
The Hypnotist " et qu’il a déjà utilisé en 1927 dans
London after midnight.
Après
The Iron man, tourné à l’Universal en 1931, Browning retourne à la M.G.M. où Thalberg lui demande de réaliser un film plus horrible que Dracula ou que le Frankenstein de James Whale. On ignore qui de Browning ou de Thalberg proposa l’idée d’une adaptation à partir du roman "
Spurs " de Tod Robbins. Le film qui en résulte,
Freaks dépasse tout ce que la M.G.M. avait imaginé et le public lui réserve un accueil glacial.
Le film se voit même interdit en Grande Bretagne ainsi que dans de nombreux états aux USA . Il ne sera reconnu en France que grâce aux critiques de la " Nouvelle Vague " à sa réédition en 1962. Cet échec met Browning dans une situation économique difficile et freine l’enthousiasme de la M.G.M. qui y a perdu près de 164.000 dollars ; il ne tournera plus que quatre films entre 1933 et 1939. Ainsi ses relations de plus en plus tendues avec la firme sont illustrées par l’anecdote suivante conté par William Faulkner: en 1933, alors qu’il avait été engagé comme dialoguiste et que les préparatif du tournage avait lieu à la Nouvelle-Orléans, Faulkner reçut le télégramme " Faulkner est congédié. Studios MGM. ". Il court aussitôt demander des explications au directeur, Tod Browning. Celui-ci surpris, rassure Faulkner et lui promet que les studios devront s’expliquer. A ce moment, un autre télégramme arrive avec le message " Browning est congédié. Studios MGM. ". Le film ne verra jamais le jour. Parmi ses derniers films,
The Devil doll sortit en 1936 rencontre à nouveau le public, les effets spéciaux sont extrêmement réussis pour l’époque, la technique de réduction sera d’ailleurs reprise en 1957 dans
The Incredible shrinking man (L’Homme qui rétrécit) de Jack Arnold. Browning y dirige Lionel Barrymore qui, évadé du bagne se déguise en vielle femme et se venge en rétrécissant ses anciens associés grâce à la découverte de Marcel, son compagnon d’évasion chimiste. Le scénario adapté du roman "
Burn, Witch, Burn " d’A. Merritt est co-signé par Eric von Stroheim.
En 1937, Irving Thalberg disparaît, laissant Browning sans soutient au sein de la M.G.M.. Tod tournera un dernier film en 1939 :
Miracles for sale, littéralement " miracles à vendre " ; avant de se retirer à Malibu Beach où sa femme, Alice, meurt en 1944 et où il finira sa vie, loin du milieu hollywoodien. Il reçoit pourtant en 1948, un Oscar pour l’ensemble de sa carrière. Il meurt le 6 octobre 1962, probablement d’un cancer.
Tod Browning a toujours manifesté une imagination fabuleuse doublée d’un humour noir et cynique vis à vis du monde qui l’entoure comme de ses propres créations. Il dénonce une société où les hommes sont des pantins (comme dans Les Poupées du diable ou comme Hans manipulé par Cléopatre dans
Freaks), où l’apparence est maîtresse et dans laquelle rien n’est aussi simple qu’on le croit.
Xavier Jeudon